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Je suis en Indonésie pour grimper la pyramide de Carstensz, un des 7 sommets. Mon cinquième sur les 7. C'est la saison des pluies et pour cette raison je suis la seule “touriste” dans mon équipe.
De plus, je dois traverser la jungle à pied. En haute saison les grimpeurs bénéficient d’un hélicoptère qui les amènent au camp de base de la montagne. J’ai dû payer 3 fois le prix normal, même sans avoir l'hélicoptère . La traversée de la jungle sera pénible. 5 jours de marche dans l'effort et surtout la boue... Tout un luxe ! L’ascension de Carstensz sera plutôt un “pet” comparativement à cette traversée ardue. Une fois de retour au camp de base, j’apprends qu’il est impossible de revenir par la jungle, car un conflit armé vient d’éclater au village de départ et la jungle est devenue un terrain de chasse ... Pour être franche, je suis plutôt soulagée d’éviter le chemin du retour dans la bouette. J’apprends que la seule option pour revenir vers Bali, est de passer à travers la mine qui n’est pas très loin du camp de base. Cependant il nous faut l’autorisation des responsables de cette deuxième plus grosse mine au monde. Je me dis que cela devrait aller tout seul puisque je suis une femme, canadienne, seule et de plus avec une très bonne raison; c’est la guerre ! Un gardien armé nous escorte jusqu’à un conteneur qui sert d'abri. Il nous explique à moi et à mes guides qu’il est interdit de se promener au delà d’un périmètre de 100 mètres. Nous devons attendre l’autorisation . La nuit tombe. Je comprends que je devrai dormir dans cette boîte de tôle. Durant la nuit, je suis réveillée par un mal de coeur. Je n’en reviens pas. Les guides fument cigarettes après cigarettes. L’espace est rempli de boucane. Je sors dehors. Il pleut. Je dois vite établir les règles de “la maison” . Après tout j’ai payé 3 fois le prix ! La boue ça allait..., mais dormir dans un cendrier géant ça passe pas! De plus, je suis anxieuse car je ne dois pas rater mon vol pour le Canada, je dois préparer ma prochaine expédition qui doit m'amener à l’Everest . En principe je n'aurai que 3 semaines pour me préparer. Une raison de plus pour épargner mes poumons. Le lendemain, j’attends gentiment le gardien, et les nouvelles, en sirotant mon café devant un paysage de roche. Je suis vite ennuyée. Il n’y a rien à faire dans les environs. Une chance que j’ai mon café pour me calmer les nerfs. Le gardien arrive. Je suis toute ouïe . Il me donne une boite que je m'empresse d’ouvrir en pensant que la précieuse autorisation tant espérée se trouve à l’intérieur . Bien oui, j'allais presque l'oublier, il faut bien manger. Je découvre une maigre cuisse de poulet avec du riz blanc... tout ça est bien à l’image de ce qui m’entoure. Mon guide met un peu de couleur en m’offrant un paquet de biscuit Oreo aux fraises . Le jour tombe et je vais dormir et tenter d’oublier le cauchemar qui se dessine. Deuxième jour, je sirote mon café avec un biscuit tout en regardant ces montagnes de cailloux. Les camions font entendre une musique étourdissante. Le gardien arrive avec ses boites de nourriture. J’ai droit à l’autre cuisse du poulet avec son riz. Je lui rappelle que j’attends toujours la permission de me déplacer mais il me dit que nous devons encore attendre. La nuit tombe, je suis déçue de passer encore une saleté de nuit dans ce tas de ferraille. Troisième jour, je déguste mon café avec un autre biscuit aux fraises. Je me sens devenir folle. Je me sens impuissante, freinée dans mon élan. Je vis comme un félin en cage... depuis 3 jours que je tourne autour du container. Je commence à douter de la bonne volonté des responsables de la mine... et si je tentais de traverser toute seule, durant la nuit ? En fin de compte, non, cela pourrait compromettre encore plus mon vol pour le Canada. Je décide d’user de mon téléphone satellite même si je dois restreindre mes appels. Voyez-vous, le budget de cette expédition a explosé, on dirait celui d'un chantier routier. J’appelle l’ambassade canadienne et je leur explique la situation. Ils me disent ne pas pouvoir intervenir directement mais qu'ils peuvent simplement faire pression en prenant de mes nouvelles. Quatrième jour, je sirote mon café avec mon biscuit Oreo. Soudain une larme mouille ce dernier. Je me sens abandonnée et ce foutu poulet, je ne suis plus capable de l’avaler. Je dois, et ça me fait presque mal physiquement, me résoudre à passer encore une journée à rien faire. Je ne peux m’empêcher de pleurer tellement j'ai l'impression de devenir folle. Je vois mes guides à genoux en train de ramasser des roches. J'ai l'impression qu'eux ils ont déjà sombré dans la démence mais en m’approchant je constate que les pépites brillent. Ils me disent que c’est de l’or. Pas fou, nous sommes dans une mine après tout et si je peux me rembourser ce voyage de luxe avec cet or, et bien justice sera faite ! À genoux avec ma pince à sourcil, je deviens championne de ramassage d’or et mon sac se remplit rapidement . Cinquième jour, j’engloutis rapidement mon café et mon biscuit afin de ne pas perdre une seule pépite d’or. Je suis envoûtée par ces petites lumières brillantes qui me font saliver de projets et j’en oublie presque “ma cage de tôle” . Mon sac est rempli de pépites et mon dos est en compote à force d’être accroupie et à dormir sur une planche de bois. Je contacte de nouveau l’ambassade canadienne et me dis qu'il est temps de tenter une stratégie astucieuse. J’explique que je commence à me sentir malade et à ressembler à la maigre cuisse de poulet que je dévore à chaque jour et je termine la conversation dans un faible toussotement. Sixième jour, je demande mon rituel café à mon guide, mais c'est avec une expression exprimant une grande tristesse qu'il m’annonce qu’il n’y a plus de café. Je m'éloigne, je sors un biscuit Oreo de son paquet et je pleure. Six jours que je suis ici et je n’ai aucune idée du temps que je vais y rester. Mon vol pour Montréal est pour le lendemain, tout est foutu ! Je vais perdre tout mon investissement sur ma prochaine expédition. J’espère que l’or que j’ai ramassé me rapportera une bonne cagnotte ! Je discute avec les guides mais il est encore trop dangereux de revenir par la jungle. Je suis découragée. Je vais m’assoupir dans le container . Le gardien arrive. Je ne bouge pas d'un poil. Il peux bien s’étouffer avec son poulet... C’est alors qui me dit que j’ai obtenu l’autorisation pour traverser la mine ! Faut croire que ma petite mise en scène à l’ambassade a fonctionné ! Je me lève d’un bond, j'empoigne mon sac à doc contenant le précieux souvenir... Nous traversons en voiture, escortés de plusieurs agents de sécurités armés. Je constate que la mine est très vaste. Je me serais probablement perdue dans ce labyrinthe. Je prends mon vol avec un jour de retard. J'ai très hâte de faire analyser mon trésor à Montréal. Quelques jours plus tard, le bijoutier me dit “ Je ne sais pas c’est quoi, mais ce n’est pas de l’or madame ” !!! Tout ça pour ça.... |
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