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Nous sommes en janvier 2014, je suis en Norvège, mon meilleur ami Arvid et moi étudions la carte de l’Himalaya . Notre projet est de grimper deux 8000 mètres au printemps prochain. Nous avons envie de faire l'ascension du Lhotse car nous connaissons déjà la route jusqu’au camp 3 puisque c’est la même que celle de l’Everest Sud. Mon attention se porte sur le Makalu, qui n’est pas très loin du Lhotse. En termes de logistique, du transport ce serait plutôt pratique. S'ajoute une motivation attractive: aucun canadien n'a encore atteint ce sommet. Je pourrais être cette canadienne et Arvid le deuxième norvégien.
Une semaine avant le départ, en naviguant sur Internet, je découvre qu’il y a un autre Canadien qui tentera le Makalu en cette même saison. Arrivée à Katmandou, je suis heureuse de retrouver l’ambiance du Népal. Nous ne perdons pas de temps et retrouvons le reste de l’équipe. Je reconnais l'autre Canadien aussitôt arrivée à son hôtel: il s'agit d'Al Hancock. Je suis un peu embarrassée. Nous arrivons à l’aéroport national. Al m’intercepte quasi sur le champ afin qu'on se mette d’accord sur un scénario idéal: arriver ensemble au sommet. Je suis d’accord et très soulagée de ne pas vivre une malsaine compétition. L’équipe se forme au camp de base. Nous serons une quinzaine de personnes de toutes nationalités. Je rencontre Yannick, un Français de 39 ans. Il à déjà grimpé le Lhotse sans oxygène et tente de relever le même défi au Makalu. Il a une petite fille de 4 ans. Je le mets en garde, lui dis de faire attention, car sa petite fille à besoin de son père. J’apprends que Mike Horn sera aussi au Makalu cette saison là. J'ai tellement d'admiration pour cet aventurier, dont j’ai lu les livres. Il nous invitera Yannick et moi pour une fondue suisse plus tard dans l’expédition. C’est le rêve pour moi de l'écouter raconter ses aventures d’une façon “live”. Nous apprenons qu’il y a eu une grosse avalanche à l’Everest , qui a fait 16 victimes parmi les sherpas. Toutes les expéditions sur l’Everest et le Lhotse sont annulées . Arvid et moi venons de perdre notre projet sur le Lhotse et du même coup notre argent. Nous sommes encore dans la phase d’acclimatation. Yannick part seul et pousse jusqu’au camp 3. J’atteins le camp 1 avec Arvid. J’ai une vilaine toux qui m’épuise. Nous poussons jusqu’au camp 2. Je suis à plat, je manque d'énergie tellement je tousse. Nous tentons d’aller au camp 3, mais je me rends compte que je ne suis pas assez forte pour continuer et qu'il serait plus prudent de revenir au camp de base. J’arrive au camp de base dans un piteux état. Al nous accueille avec du jus et m’aide avec mon sac. Je dois récupérer et soigner ma toux. Le soir même, nous apprenons que Yannick est en détresse. Il a besoin d’aide pour descendre. Polémique au camp: parce que Yannick n’a pas payé pour l’aide des sherpas et de bouteilles d’oxygène, il ne se trouve personne pour tenter un sauvetage a 7300 mètres. Tous préfèrent donner la priorité à leurs propres clients. Suite à de longues discussions, on décide d’aller l’aider. Nous sommes tous dans l’attente de la progression de sauvetage. Al entre dans la tente commune et nous annonce que Yannick est mort. Je suis sous le choc. Un homme si fort et d'une si grande expérience. Al, Arvid et moi tentons de nous soutenir mutuellement dans cette épreuve. L’atmosphère est lourde. Arvid et moi décidons de partir pour plusieurs jours à Katmandou pour mieux récupérer avant le “summit push”. J'en profite pour soigner ma toux et me changer les idées. Nous revenons au camp de base en pleine forme. 6 jours ont passé depuis notre départ et nous constatons que plusieurs membres de l’équipe ont dépéri physiquement et mentalement suite à une trop longue période en haute altitude. Nous tentons de remonter le moral de l'équipe en offrant à tous des pâtisseries fraiches achetées en ville. Le temps est venu d’aller au sommet. Je fais partie de la première rotation avec Arvid et Al. Nous progressons lentement mais sûrement. Je me sens forte malgré que je ressente une douleur aux côtes. Je tousse encore beaucoup. Du camp 2 au camp 3 l’ascension sera ardue et très longue. 10 heures pour faire le parcours ! Je passe tout près la tente abandonnée de Yannick. J’ai un pincement au coeur. J’arrive la première au camp 3. Il vente beaucoup, même que pendant la nuit la tente se déchire. Arvid me réveille à plusieurs reprises car il à peur. Je le rassure et décidons qu’il est plus sage de rester une nuit de plus. La météo est enfin favorable et on se dirige vers le camp 4 pour finalement partir dans la soirée dans notre longue nuit vers le sommet. Nous croisons Mike Horn assoupi dans la neige. Il a atteint le sommet sans oxygène. Il est seul depuis plus de 24 heures dans la “zone de la mort”. Je suis impressionnée car même à bout il a gardé son bon moral. Il refuse même les quelques bouffées d’oxygène qu'Al lui offre. Je me sens en forme. Je progresse même plus rapidement que les autres. J’arrive dans le “french couloir “, je suis complètement seule. J’ai envie de poursuivre sur cet élan tellement je me sens en forme et enthousiaste . Je décide d’attendre mon sherpa , car j’ai peur que ma bouteille d’oxygène soit presque vide et il est plus prudent de la changer. J’attends environ 40 minutes entres les rochers. J’aperçois un faisceau de lumière qui vient vers moi. C’est Al. Il est complètement gelé. Je le réchauffe et nous attendons nos sherpas pour changer les bouteilles d’oxygène. Le soleil se pointe enfin. Al et moi progressons ensemble pour atteindre finalement le sommet au même moment, tel que discuté au départ. Après avoir atteint le sommet, alors que je descends sur le glacier à une altitude environ de 8200m, soudainement je n'arrive plus à respirer malgré l'aide de l'oxygène artificiel. Je me dis qu'il y a un problème avec la bouteille ou alors avec mes poumons... Je descends rapidement vers le camp 4 (7900 m) en me disant qu'une fois arrivée là je vais mieux respirer. Je tombe cependant en hyperventilation à plusieurs reprises. Complètement seule, à genoux sur le glacier, j'ai littéralement l'impression de me noyer. À cette altitude, il n'y a aucune possibilité de secours. Je tente plusieurs fois de me redresser et de marcher, mais je retombe en hyperventilation. J'ai pensé que j'allais mourir ainsi. Il fallait que je me tranquillise et que je calme ma respiration... afin d'y arriver je m'allonge sur le glacier. Un membre de l'équipe qui descend du sommet arrive à mes cotés. En me voyant ainsi la panique le gagne. Je n'arrive pas à parler, je ne peux donc pas lui expliquer que je dois absolument maintenir ma respiration calme et éviter tout mouvement trop soutenu qui déclencherait immédiatement l'hyperventilation. Pensant bien faire, il cherche à me mettre debout et me faire descendre coûte que coûte, quitte à employer la force. C'est affreux pour moi car cela déclenche et accentue un état d'asphyxie... je crois que je vais mourir. La seule option qui me reste est de mobiliser ma volonté, faire un gros effort mental, me concentrer sur le nécessaire contrôle de cette respiration handicapée, faire abstraction de tout le reste et progresser vers le camp quatre. Enfin, j'y arrive, après tellement d'efforts. Je vomis pendant la nuit et soudain l'air entre dans mes poumons... je me sens revivre. C'est à ce moment là que je comprends ce qui s'est passé: j'ai pris des pastilles de sucre de raisin comme supplément énergétique pendant la descente. Étant déshydratée, le sucre a collé et obstrué ma gorge, réduisant le passage de l'air et provoquant les conditions propices à des étouffements. Le lendemain nous descendons tous avec difficulté tellement nous sommes épuisés. Je décide de me concentrer sur ma survie et voir à descendre le plus vite possible tout en maintenant une façon de faire sécuritaire. Je sais que les autres seront fâchés mais je vis un état d’urgence et je sens les autres incapables de me donner le support espéré. J’arrive au “crampon point “. À partir de là, je sais que je suis saine et sauve. J’attends les autres afin que nous arrivions tous ensemble au camp de base. Je vois Al au loin et par sa démarche je sens qu'il est démotivé mais sitôt qu’il m’aperçoit son sourire revient. Il est heureux que je sois encore là, à les attendre. Ensuite arrive Arvid. Nous sommes rejoints par 2 sherpas qui arrivent du camp de base avec des boissons et des fruits. J’empoigne une grosse pomme rouge et je mords dans cette dernière avec une fougue renaissante et je souris à mes amis. Une autre splendide aventure physique et humaine qui arrive à son terme... avant tout. |
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